Ci joint un extrait du dossier cette semaine du Nouvel Obs sur l'intelligence animale
(Avec ca, haut la main je bat les 58 lignes trop fastoche )
Témoin de notre évolutionLe chien est descendu de l'homme Qui l'eût cru ? L'espèce canine est socialement plus proche de nous que le chimpanzé. Et son étude permet de mieux comprendre ce qui nous distingue des grands singes
Et si le chien était le plus humain des animaux ? Poser la question n'est pas faire preuve d'anthropomorphisme : les recherches les plus récentes montrent que notre fidèle compagnon comprend un geste tel que pointer du doigt vers un objet, suit un regard ou un mouvement de la tête et en général déchiffre la communication humaine quasiment comme un petit enfant. Et beaucoup mieux qu'un chimpanzé ! Comment une espèce relativement éloignée de la nôtre peut-elle nous être socialement plus semblable que notre plus proche parent dans l'évolution ? Selon Brian Hare et Michael Tomasello, chercheurs à l'Institut Max-Planck d'anthropologie évolutionniste de Leipzig, la solution de ce problème éclaire d'un jour nouveau notre propre évolution et la naissance des sociétés humaines (1).
Partons d'une expérience simple. On cache une friandise dans une boîte que l'on dispose à côté d'une autre boîte identique. L'épreuve consiste à trouver la cachette, non pas au hasard mais avec l'aide d'une indication de l'expérimentateur, qui désigne la bonne boîte du doigt, d'une inclinaison de la tête ou encore en tournant son regard dans sa direction. Pour un petit d'homme, ce test est un jeu d'enfant. Même un bébé de 14 mois identifie la cachette. Soumettez le problème à un chien, après avoir contrôlé qu'il ne peut pas flairer la friandise à travers le récipient : il s'en sortira brillamment et dès les premiers essais, sans avoir besoin d'entraînement ni de dressage. Même lorsque l'expérimentateur lui complique la tâche, par exemple en désignant la cible de la main gauche alors qu'elle se trouve à droite ou en marchant dans la direction opposée du récipient qu'il montre. Le chimpanzé, lui, se révèle très peu doué pour ce genre d'exercice. Hare et Tomasello décrivent aussi une expérience dans laquelle l'indice donné à l'animal consiste à poser un cube sur le récipient concerné. Là encore, le chien réussit, même si on enlève le cube avant qu'il n'ait fait son choix (afin de s'assurer qu'il n'est pas seulement attiré par le cube). Et là encore le chimpanzé est battu à plates coutures.
Encore plus fort : lorsque l'indice utilisé est la direction du regard, le chien n'en tient pas compte s'il réalise que l'expérimentateur regarde trop haut pour pouvoir désigner un récipient. Autrement dit, le canidé est conscient de ce que voit l'homme. D'autres expériences le confirment. Par exemple, l'observateur lance une balle puis tourne le dos ; dans ce cas, le chien rapporte la balle puis fait un détour de manière à la déposer devant l'homme. S'il doit choisir entre deux personnes pour obtenir son mets favori - l'une portant un bandeau, l'autre ayant le visage couvert par un seau - le chien demandera à la personne dont le visage est visible. Si l'on expose une nourriture qui lui a été interdite au préalable, le chien l'évite lorsque l'expérimentateur le regarde mais pas si l'homme a les yeux fermés. Le canidé s'abstient même de saisir un mets interdit alors qu'il est séparé de l'homme par une cloison - et ne peut donc pas le voir - si la cloison est percée d'une fenêtre : il suppose que, même invisible, l'homme le surveille ! Un chimpanzé ne montre pas une telle méfiance, ignorant apparemment ce que l'humain voit ou ne voit pas.
Toutes ces expériences, qui datent de moins d'une décennie, posent une double énigme : pourquoi le chien réussit-il ? Mais aussi à quoi est dû l'échec du chimpanzé ?
Le mystère est d'autant plus troublant que d'une manière générale les primates et en particulier les chimpanzés sont plus intelligents que les chiens et plus doués pour résoudre des problèmes. Par exemple, un chimpanzé, mais pas un chien, comprendra tout de suite que si une planche est inclinée plutôt que posée à plat, c'est qu'il y a quelque chose au-dessous. De plus, un chimpanzé est parfaitement capable de suivre la direction d'un mouvement ou d'un regard, et il sait ce qu'un de ses congénères a dans son champ visuel. Ce n'est donc pas un problème de perception qui l'empêche de réussir au jeu de la boîte.
Mais alors qu'est-ce que le chien a de plus ? La première explication qui vient à l'esprit est que le chien, élevé avec les humains, s'est initié à leurs modes de communication. Mais cette hypothèse impliquerait que le chien réussisse d'autant mieux qu'il a vécu longtemps avec les hommes. Or des chiots de 9 semaines font montre de la même aptitude à communiquer avec notre espèce. Et on ne trouve pas de grande différence entre des chiots élevés « à la maison » et des chiots vagabonds, moins en relation avec l'homme. En clair, l'aptitude remarquable du chien à communiquer avec l'homme semble innée, ou du moins présente dès le plus jeune âge de l'animal.
Pour Michael Tomasello, l'hypothèse la plus plausible est que l'homme, en domestiquant le chien, l'a contraint à évoluer en «s'humanisant». A peu près partout sur la planète, et depuis environ 120 000 ans, l'homme a élevé des chiens pour l'aider à chasser ou à garder les troupeaux. Ce canidé domestique descend du loup, qui chasse en meute et qui est déjà un animal très social. Pourtant, le loup n'a pas les talents de communication humaine du chien, il a fallu quelque chose en plus : l'homme a sélectionné, génération après génération, les chiens qui l'aidaient le mieux. Darwin a d'ailleurs consacré tout le début de « l'Origine des espèces » à décrire cette sélection des chiens parles éleveurs, qu'il prend comme modèle du mécanisme de la sélection naturelle. «Je pense, dit Tomasello, que l'homme a, au cours du processus de domestication, sélectionné chez le chien une aptitude à la communication humaine qui fait désormais partie du patrimoine héréditaire de l'espèce canine.»
Les grands singes, et en particulier le chimpanzé, ont, eux, évolué séparément de l'homme, à l'état sauvage. Et s'ils sont nos plus proches parents, leur lignage s'est séparé du nôtre il y a des millions d'années. Apparem-ment, ils n'ont pas dans leur hérédité la même aptitude à la communication sociale que nous. «Ce n'est pas que le chimpanzé ne voie pas l'homme montrer la cachette du doigt, mais il ne comprend pas le sens du geste : il n'a pas l'idée qu'on puisse l'aider à trouver. Dans la vie sauvage, un chimpanzé ne pointe jamais du doigt un objet pour le montrer à un congénère : il pourrait le faire physiquement, mais il n'en voit pas l'intérêt. Les chiens sont sociaux et amicaux, les chimpanzés sont plus intelligents mais plus individualistes, plus portés sur la compétition que sur la coopération.»
Une autre expérience de Hare et de Tomasello plaide en ce sens. Cette fois, l'expérimentateur commence par établir une relation de compétition avec le primate dans laquelle le but du jeu est d'être le premier à se saisir de l'objet convoité. Puis il essaie d'atteindre un seau où a été placée la friandise, sans y parvenir parce qu'il doit passer le bras à travers un trou percé dans une cloison de telle sorte qu'il est trop loin du seau. Dans cette situation, le bras de l'expérimentateur est tendu vers le seau. Un geste similaire au « pointer du doigt », qui d'habitude n'intéresse pas le chimpanzé. Mais, dans ce contexte de concurrence, le grand singe réagit et va chercher la friandise dans le seau. Non pas parce qu'il a interprété le bras tendu comme une aide, mais tout simplement parce qu'il veut s'emparer de l'objet convoité avant l'homme.
Le chien, lui, interprète correctement les gestes de coopération, parce qu'il possède une aptitude à coopérer avec l'homme. L'idée de Tomasello est que cette aptitude a été sélectionnée artificiellement au cours de la domestication, et que l'homme la possède, lui, depuis une époque antérieure à sa rencontre avec le chien. Mais l'ancêtre commun à l'homme et aux grands singes ne devait pas avoir les mêmes qualités de sociabilité, sinon le chimpanzé en aurait hérité. «Les chimpanzés manquent d'un «tempérament humain» qui les pousserait à partager des informations, explique Tomasello. Notre espèce a acquis ce tempérament au cours de son histoire précoce : la première étape de l'évolution des sociétés humaines a peut-être consisté en ce que l'homme s'est «autodomestiqué», comme il a ensuite domestiqué le chien.» Cette thèse s'oppose au cliché éthologique selon lequel les espèces ne progressent que dans la compétition et le rapport de force.
Ainsi, notre plus vieil ami serait le témoin involontaire du processus d'humanisation sans lequel les cultures humaines, avec toute leur richesse et leurs raffinements, n'auraient pu se développer. Ou, si l'on préfère, l'homme n'est rien de plus qu'un singe qui a du chien.
(1) « Human-like social skills in dogs ? », par Brian Hare et Michael Tomasello, dans « Trends in Cognitive Sciences ».
Notre fidèle compagnon comprend un geste tel que pointer du doigt vers un objet, suit un regard ou un mouvement de la tête et, en général, déchiffre la communication humaine quasiment comme un petit enfant.
Selon Tomasello, l'aptitude du chien à coopérer a été sélectionnée artificiellement au cours de la domestication, et l'homme la possède, lui, depuis une époque antérieure à sa rencontre avec le chien.